La transition est en marche !

Venant de Hongrie, un séjour à Paris permet de voir que – eh bien, il y a une bonne pêche partout, et l’envie de changer les choses.

Vincent Liegey – 5 février 2013

La transition est en marche ! C’est l’intitulé que l’on utilise pour des encarts dans notre livre, Un projet de Décroissance, Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie, pour présenter des alternatives concrètes diverses et variées.

Je suis rentré en France depuis une semaine et c’est vraiment ce que j’ai pu observer à travers toutes les rencontres que j’ai faites. On assiste un peu partout, et pas uniquement en France puisque je l’observe également en Hongrie où je réside, ainsi que dans tous mes voyages, à une transformation silencieuse de la société.

La prise de conscience des limites, physiques mais aussi anthropologiques, de cette société de croissance s’étend. De plus en plus de gens ressentent un malaise face au consumérisme, mais plus encore face à la perte de sens dans notre travail, aux conséquences désastreuses des plans d’austérité, à ce que nous appelons cette religion de l’économie. De même, de moins en moins de personnes croient encore en la démocratie représentative, aux élites politiques et médiatiques, au système de parti.

Alors on se pose des questions et, surtout, on essaie d’agir. Que ce soit individuellement ou collectivement les comportements changent : on expérimente.

Nous avons organisé le lancement de notre livre au Shakirail, lieu alternatif parisien autogéré, afin de mettre en cohérence les idées que nous développons et ce que nous essayons de vivre.

Au Shakirail, j’(y) ai rencontré des personnes actives dans le mouvement de la transition, dans les collectifs Notre Dame Des Landes et aussi dans les mouvements des indignés, occupy et démocratie réelle. Toutes et tous se posent les mêmes questions et essaient d’expérimenter ce que pourraient être demain des sociétés soutenables et surtout souhaitables. Ils expérimentent d’autres manières de pratiquer la démocratie, de vivre et de prendre des décisions ensemble.

J’ai rencontré aussi des personnes de mouvements et partis politiques comme le Parti Pirate (démocratie liquide, plus de transparence et un plus grand contrôle du citoyen sur l’élu), Parti de gauche (PG) et Europe-Ecologie-Les Verts, chacun s’appuyant sur la prise de pouvoir institutionnel pour changer la société, le PG à travers la volonté de dépasser le Parti Socialiste, EELV à travers des compromis et en participant au gouvernement.

J’ai aussi rencontré ATTAC, qui réfléchit à comment faire le lien avec les mouvements sociaux et syndicaux à l’échelle européenne, rompre avec cette Europe technocratique et oligarchique appliquant plans d’austérité les uns après les autres, et les Alternatifs (Solidarité, Écologie, Autogestion et Féminisme, dans une logique de convergence du rouge et du vert).

Toutes et tous, avec leur culture politique, leur histoire, essaient de faire face à leurs contradictions. Mais toutes et tous avec les mêmes questionnements, et une certaine humilité sur les limites de leurs démarches : plus ou moins jouer le jeu des institutions (voir par exempleles discussion entre le PG et EELV), plus ou moins centralisé, participatif.

Comment accompagner cette volonté de faire de la politique autrement, de rompre avec les modèles imposés par nos institutions centralisées et de démocratie se limitant à la représentativité, et en même temps faire preuve d’une certaine forme de réalisme : qu’on le veuille ou non, nous vivons dans ces sociétés !

Dans le mouvement de la Décroissance, nous avons depuis plusieurs années discuté, réfléchi et débattu de ces notions de pouvoir ou comment changer la société sans prendre le pouvoir. Nous nous appuyons sur une stratégie de masse critique qui s’articule autour des 4 niveaux politiques de la Décroissance :

- Le collectif : à travers les alternatives concrètes, mises en avant dans ce livre.

- Le projet : projet de transition et aussi réflexion sur ce que peuvent être des sociétés de Décroissance.

- La visibilité : l’organisation de rencontres-débats, de manifestations, le passage dans les médias, la participation à des élections de manière non-électoraliste.

- L’individuel : à travers la simplicité volontaire et la décolonisation de l’imaginaire.

L’enjeu, pour notre mouvement mais aussi de manière générale pour toutes celles et ceux, tous les collectifs, mouvements et partis politiques qui essaient de construire des alternatives à une société en pleine crise anthropologique est de jouer à ce jeu d’équilibriste, d’être à la fois dans et à l’extérieur du système.

D’arriver à cultiver cette diversité des approches tout en recherchant des équilibres et des convergences, des coopérations sur des projets communs qui peuvent être une lutte, comme à Notre Dame Des Landes ou contre les gaz de schiste, l’organisation de débats et de conférences, la mise en commun d’outils, la participation à des élections, avoir des élus, des soutiens critiques et ponctuels à des majorités.

L’enjeu est d’arriver à construire un mouvement politique, en rupture avec le modèle et la pensée dominante, mais capable de le renverser dans une logique de transition. Il s’agit d’inventer un nouveau modèle, autour d’un réseau horizontal de collectifs, de personnes et de groupes, locaux et/ou thématiques, divers et variés.

La transition est bel et bien en marche… Mais elle se heurte à des résistances institutionnelles, aveugles et toujours plus violentes !

Mercredi dernier, je suis allé à la soirée de lancement des (R)évolutions organisée par le mouvement des Colibris. Il y avait beaucoup de monde et un fort enthousiasme. La soirée pour une large part d’entre nous s’est finie dans la rue, mais avec des rencontres, des discussions passionnantes et surtout un état d’esprit positif et constructif.

Comme le mouvement de la Transition, les Colibris rejettent la politique, les élections, voire les institutions. Cette posture a l’avantage d’ouvrir les portes à des citoyens qui souhaitent être dans le faire et rompre avec le combat déprimant de la politique politicienne. En ce sens ils participent à une repolitisation de la société, qui plus est, en s’appuyant sur une pratique de la politique des plus originelles : réappropriation de la vie de la cité au niveau local.

Ces mouvements participent à cette transformation silencieuse et construisent et expérimentent des alternatives. Ils ouvrent de nouveaux possibles.

Par contre, se pose la question de la violence institutionnelle à laquelle nous faisons face, que ce soit à NDDL ou ce que Naomi Wolf révélait dans le Guardian il y a quelques semaines : comment le FBI, avec le Homeland Security et les grandes banques a littéralement détruit le mouvement Occupy Wall Street.

Comment rester dans la non-violence face à un système qui s’enfonce toujours plus dans son aveuglement, où l’oligarchie et les lobbies construisent un contrôle toujours plus fort sur les populations, là où tous les Etats occidentaux préparent leurs armées et polices au combat urbain, là où les inégalités deviennent intenables, les plans d’austérité continuent à ronger les citoyens et ce qui reste encore de nos institutions telles que l’éducation ou la santé.

Plus que jamais, il va falloir collaborer, résister, construire ensemble cette transition démocratique et sereine vers de nouveaux modèles de sociétés soutenables et souhaitables. Et cette transition est en marche… à l’intérieur et à l’extérieur du système. Alors collaborons !

Vincent Liegey est co-auteur de Un projet de Décroissance, Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie, membre du Parti Pour La Décroissance et doctorant à l’université d’économie de Budapest.

Source : http://reporterre.net/spip.php?article3806

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