Le temps de la Décroissance : S. Latouche & D. Harpagès

« La vie n’est plus que consommation et consumation de temps, de travail, d’argent. L’homme contemporain ne vivant plus dans le temps, le temps libre est devenu un non-sens, quelque chose d’insupportable. »La reconquête du temps est certainement un des défis auquel les objecteurs de croissance et le mouvement des décroissants se sont attelés. Le temps spolié, compressé, dilacéré, volé. La société productiviste abuse du temps comme d’une source inépuisable de bénéfices. Les profits générés par l’exploitation du temps des hommes sont colossaux. Temps pour surconsommer, temps pour travailler, temps pour s’abrutir devant la télé, temps pour des loisirs massifiés…

Serge Latouche & Didier Harpagès, dans Le temps de la décroissance — paru aux éditions Thierry Magnier dans la collection Troisième culture — remettent en scène et requalifient ce temps de vivre qui nous est compté et décompté par l’idéologie de la croissance exponentielle. «L’ex-croissance, c’est la croissance qui dépasse l’empreinte écologique soutenable et qui, pou l’Europe, correspond assez bien à la surconsommation, c’est-à-dire à un niveau de production qui globalement dépasse le niveau susceptible de permettre la satisfaction des besoins “raisonnables” de tous.»

Le temps de la décroissance est un livre concis qui expose clairement le projet décroissant, sans pour cela être exhaustif. Celles et ceux qui souhaitent se faire une idée sur la décroissance, avant d’aborder en profondeur ses thèmes et ses propositions, devraient lire ce texte. Les auteurs taillent des croupières dans le gras productiviste du capitalisme, comme par exemple celle-ci : « Le mimétisme et la rivalité ostentatoire deviennent les auxiliaires d’une monstrueuse mécanique à produire du gâchis. C’est le triomphe de la colonisation de l’imaginaire par l’idéologie consumériste. » La publicité, par sa propagande, ne nous persuade-t-elle à longueur de journée que pour être il suffit d’avoir ? Les industriels ne fabriquent-ils pas des produits jetables dont la durée de vie n’excède pas leurs intérêts financiers ? Consommer et vous serez d’honnêtes citoyens. Les publicitaires ont colonisé notre imaginaire au point d’inhiber notre subjectivité, l’offrant en pâture au monde productiviste.
Ainsi nous consommons plus que la Planète peut offrir ou régénérer. Ce cannibalisme nous dévore et détruit les écosystèmes. Le  concept du développement durable a été inventé pour anesthésier notre sens critique et nous donner bonne conscience, esquivant la vraie question, celle de la soutenabilité.
« Il n’est que temps de nous déprendre de l’obsession de la vitesse et de partir à la reconquête du temps et donc de nos vies. » Avion, TGV, voitures… nous cherchons continuellement à gagner du temps. La vitesse serait un des moyens pour vivre plus longtemps et mieux. Le temps ne compterait que pour les quelques minutes ou heures qu’on parvient à lui grignoter. Penser au rythme de ses pas serait de la plus haute ringardise dans une société qui pense vite, agit vite et s’autodétruit vite. La lenteur est devenue tabou. Prendre son temps, flâner, baguenauder — une atteinte à la logique productiviste. Non seulement la vitesse nous sépare et les gains de temps dans le travail nous atomisent, mais elle est aussi la cause de la destruction du lien social. Nous n’avons plus le temps — parce qu’il passe trop vite et qu’on galope après lui — de nous arrêter, de discuter et de prendre soin de l’autre, de nous, de nos amis et de notre famille. À force de vouloir aller vite, nos vies font du surplace.

Les auteurs de Le temps de la décroissance proposent de «renouveler l’espace» et de « travailler moins pour vivre mieux. » Un programme ambitieux qui passe par un changement de culture et de façon de penser la nature, le travail et la ville. « Une ville écologique, faites de villages urbains où cyclistes et marcheurs utiliseront une énergie renouvelable, est sans doute appelée à remplacer les mégapoles actuelles. » De la même manière que pour décoloniser notre imaginaire il convient de se réapproprier notre temps libre : « Se libérer de la servitude volontaire est probablement le meilleur moyen pour se libérer de la servitude involontaire imposée par le système. » Un système qui nous veut flexible, malléable, corvéable et interchangeable. Un système qui, en nous détroussant de notre temps — au bureau, à l’usine, chez nous, dans nos loisirs —, nous réduit à une simple fonction organique de consommateurs et de producteurs de déchets. Habiter son corps, son espace et son temps sont incontestablement une priorité.

« Le temps de la décroissance représente une troisième voix, celle de la sobriété choisie. Pour cela, il nous faut inventer un autre mode de rapport au monde, à la nature, aux choses et aux êtres, qui ait la propriété de pouvoir s’universaliser à l’échelle de l’humanité. »
Le temps de la décroissance permettra au lecteur de se faire une idée juste et « raisonnable » de la vision du monde que défendent les objecteurs de croissance. Serge Latouche et Didier Harpagès ont réussi dans cet ouvrage à synthétiser les grandes lignes d’un avenir soutenable et d’une Planète viable. À chacun d’entre nous de prendre son temps pour savoir ce que nous voulons pour nous, pour demain et pour l’avenir de notre unique maison — la Terre.

Le temps de la décroissance, de serge Latouche & Didier Harpagès, col. Troisième culture, éd. Thierry Magnier

Pour en savoir plus : source : http://www.ecologitheque.com/latoucheharpages.html
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