« La saloperie que nous n’achèterons pas » (*)

Qui aurait cru que le Parti Pour La Décroissance allait se fendre d’un communiqué affirmant son indépendance avec le mensuel « La Décroissance » ? Eh bien voilà, en ce début d’année 2012, c’est fait !

Et pourtant, l’histoire commençait bien. Quelle bouffée d’oxygène que ce premier numéro de mars 2004 (n° 20 des casseurs de pub). Facilement disponible dans les kiosques, nous découvrions un nouveau périodique mettant en cohérence toutes les … incohérences de notre société. Le soulagement ! Grâce à son format accessible à tous, « la Décroissance » devenait la référence en matière de critique de la société consumériste, productiviste et capitaliste : démontage en règle de ses instruments (la pub, le crédit, l’obsolescence, etc.), décorticage de ses conséquences sur l’environnement et le bien-vivre, dénonciation de l’amplification croissante des inégalités sociales. Enfin ! Nous comprenions le monde… pour mieux le changer. Le « journal de la joie de vivre » était devenu, en France, le porte-drapeau du mouvement naissant de la Décroissance.

Aujourd’hui, la situation a bien changé. Un grand nombre d’Objecteurs de Croissance (OC) affichés ne partagent plus ses positions et ses méthodes. Cette réalité n’est pas très visible (1), et pour cause. Contrairement à ce qu’il stipule dans sa propre charte (2), le mensuel a tendance à user de son nom générique pour amener à croire qu’il fait consensus au sein de l’Objection de Croissance. Certes, le mensuel a sa liberté d’expression. Mais, par le biais de certains artifices, cette liberté masque une prise de pouvoir, un penchant à s’exprimer… au nom des autres. Nombreux sont les OC qui apprécient peu de se faire prêter certaines prises de positions, et encore plus d’avoir à y répondre. En effet, on leur demande souvent de se justifier par rapport à des idées énoncées dans « La Décroissance », idées qu’on leur reproche alors qu’ils n’en sont en rien responsables.

Cette tentation d’occuper le devant de la scène et de minimiser la multiplicité des points de vue dans l’objection de croissance, s’inscrit dans une posture autoritaire globale du journal. En ce qui concerne le fond des idées proposées, ce qui saute aux yeux, c’est cette attitude dogmatique qui consiste à systématiquement rejeter en bloc tout ce qui n’est pas dans la ligne. La plupart des OC ne se retrouve pas dans cette posture. Pour autant, ils ne sont pas moins intègres et radicaux sur le fond, mais ils privilégient plutôt l’ouverture et le dialogue, avec la préoccupation d’atteindre un jour la masse critique qui fera pencher la balance du bon côté (3).

De plus, la ligne du journal n’est pas proposée mais imposée au moyen de techniques de communication relevant davantage de la manipulation que du vrai débat démocratique. Les OC qui ne s’inscrivent pas dans la ligne défendue en prennent pour leur grade. Le mensuel n’a aucun scrupule à leur tendre des pièges, puis à déformer, caricaturer, détourner ou fractionner leurs propos. Quand il fait mine de leur donner la parole, c’est dans le but de donner du crédit à sa propre opinion. Au final, il fait lui-même du « Roland Frinjo » (4). C’est ainsi que la bande dessinée « Stef le décroissant » se retrouve truffée de sous-entendus visant à donner des leçons à tous ces OC qui n’auraient rien compris à la Décroissance.

Le journal exacerbe des conflits à l’intérieur du milieu de la Décroissance, ce qui contraste avec un titre au singulier faisant ressortir une homogénéité du mouvement. Il en résulte pour le néophyte un certain flou… renforcé par la malhonnêteté de l’affichage politique. Après avoir créé le Parti Pour La Décroissance (PPLD) en 2005, qui lui a échappé en 2008, Vincent Cheynet, directeur de la publication et rédacteur en chef, fonde le Parti des Objecteurs de Croissance (POC) en 2010 (association loi 1901). Rien de condamnable en soi. Si ce n’est qu’il affiche dans son journal une neutralité et une position d’observateur, alors qu’il est totalement partie prenante, en tant que membre fondateur du POC. Ceci implique des prises de positions marquées. Ainsi, il est contre le revenu universel et toutes les propositions construites autour de l’extension de la sphère de la gratuité (9). Il croit à une prise républicaine du pouvoir préalable au changement. Il préfère soutenir les initiatives électorales individuelles, plutôt que les démarches de constructions collectives de longue haleine, qui respectent la diversité de l’objection de croissance. C’est son droit, sauf qu’il a la fâcheuse habitude de mettre sa casquette de journaliste pour donner une image « collective » à des décisions qu’il a prises unilatéralement. Il profite de cette casquette pour publier des articles à charge contre les mouvements d’Objecteurs de Croissance dont il ne partage ni le but ni la méthode (5 – 7). Vincent Cheynet ne fait même plus l’effort d’aller à la rencontre des OC qui ne partagent pas ses idées. Pour lui, ce sont des irresponsables qui mettent en danger la Décroissance.

Ce n’était peut-être pas la peine d’en rajouter, en affichant notre opposition. La question s’est posée. Mais la manière dont le mensuel véhicule l’image de l’Objection de Croissance est datée. Elle paraît désormais contre-productive. Le mot « Décroissance » joue son rôle de mot obus ; il n’est nécessaire de ne pas en rajouter dans la forme. Par son attitude, décourageante envers les OC, et repoussoir envers le grand public, le mensuel nous condamne à rester une minorité à « avoir raison entre-soi contre tous les autres » ? Et finalement il freine l’émancipation d’un mouvement qui serait capable d’essaimer dans toute la société (6 – 8). Le PPLD ne veut plus avoir à assumer les responsabilités d’un mensuel dont il ne partage plus certaines positions essentielles. Il ne veut plus souffrir de l’amalgame entre PPLD et « La Décroissance ».

De là à dire que « La décroissance » est « la saloperie qu’on nous n’achèterons pas ce mois-ci » (*) …

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(*) « La saloperie que nous n’achèterons pas » est le nom d’une rubrique phare du mensuel
(1) « Les marmites de la Décroissance en ébullition » http://www.partipourladecroissance.net/?p=6383
(2) http://www.ladecroissance.net/?chemin=charte
(3) « Plate-forme de convergence proposée par l’AdOC » http://www.partipourladecroissance.net/?page_id=4708
(4) http://www.ladecroissance.net/index.php?chemin=textes/frinjo
(5) L’appel Décroissance » 2012 decroissance2012.fr/?page_id=82
(6) « La décroissance sera-t-elle autoritaire ? » http://www.partipourladecroissance.net/?p=5008
(7) « Soutien de Paul Ariès à la campagne Décroissance » 2012 : http://www.decroissance2012.fr/?p=189
(8) « Les Objecteurs de Croissance se dotent d’un outil commun de financement » http://www.partipourladecroissance.net/?p=6693
(9) « La révolution par la gratuité (Paul Ariès) » http://www.partipourladecroissance.net/?p=6622