La convivialité, Ivan Illich – fiche de lecture

La convivialité – Ivan Illich, 1973

réédition au Seuil, Points Essais, 2003 – 4,95€

Fiche de lecture commentée


p. 28 : “J’entends par convivialité l’inverse de la productivité industrielle. Chacun de nous se définit par relation à autrui et au milieu et par la structure profonde des outils qu’il utilise. Ces outils peuvent se ranger en une série continue avec, aux deux extrêmes, l’outil dominant et l’outil convivial. Le passage de la productivité à la convivialité est la passage de la répétition du manque à la spontanéité du don.”

source icônographique :

http://www.cnt-f.org/fte/article.php3?id_article=587

trouvé sur :

http://www.cemea.asso.fr/spip.php?article5502

p. 13-14 : “…c’est l’outil qui est convivial et non l’homme.

L’homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l’emploi de l’outil convivial, je l’appelle austère. (…) Car l’austérité n’a pas vertu d’isolation ou de clôture sur soi. Pour Aristote comme pour Thomas d’Aquin, elle est ce qui fonde l’amitié. (…) Thomas d’Aquin définit l’austérité comme une vertu qui n’exclut pas tous les plaisirs, mais seulement ceux qui dégradent la relation personnelle. L’austérité fait partie d’une vertu plus fragile qui la dépasse et qui l’englobe : c’est la joie, (…) l’amitié.”

p. 38 : “Même limité, l’outil convivial sera incomparablement plus efficient que l’outil primitif et, à la différence de l’outillage industriel, il sera à la portée de chacun.”

p. 101 : “L’outil simple, pauvre, transparent est humble serviteur ; l’outil élaboré, complexe, secret est un maître arrogant.”

p. 23 : Illich parle du progrès des institutions industrielles telles que la santé, l’éducation, les postes, l’assistance sociale, les transports et même les travaux publics. “… dans un deuxième temps, le progrès réalisé devient un moyen d’exploiter l’ensemble du corps social, de le mettre au service des valeurs qu’une élite spécialisée, garante de sa propre valeur, détermine et révise sans cesse.

Dans le cas des transports, il a fallu un siècle pour passer de la libération par les véhicules à moteur à l’esclavage de la voiture.”

Le capitalisme se manifeste en premier dans notre quotidien domestique : dans notre habitude à capitaliser nos expériences, comme si le but, le sens de la vie était d’en emporter le maximum dans la tombe. Alors que le sel de la vie (que le monde industriel nous a fait perdre) se situe dans la convivialité, dans le maniement d’outils conviviaux.

p. 26 : “Durant un siècle, l’humanité s’est livrée à une expérience fondée sur l’hypothèse suivante : l’outil peut remplacer l’esclave. Or il est manifeste qu’employé à de tels desseins, c’est l’outil qui de l’homme fait son esclave. La dictature du prolétariat et la civilisation des loisirs sont deux variantes de la même domination par un outillage industriel en constante expansion. L’échec de cette grande aventure fait conclure à la fausseté de l’hypothèse.”

L’outil ne pourra jamais remplacer l’esclave. Donc l’outil aliénant (l’industrie, le travail à la chaîne, le “toyotisme”, la pétro-industrie, le nucléaire, et plus récemment les nanotechnologies) doit et peut à nouveau faire place à l’outil convivial. Ici et maintenant. Sans que cela ne dépende de personne d’autre que nous. Nous deux qui en discutons.

p. 29 : “L’idéal proposé par la tradition socialiste ne se traduira dans la réalité que si l’on inverse les institutions régnantes et que si l’on substitue à l’outillage industriel des outils conviviaux.”

p. 30 : “Si les outils ne sont pas dès maintenant soumis à un contrôle politique, la coopération des bureaucrates du bien-être et des bureaucrates de l’idéologie nous ferons crever de “bonheur”. La liberté et la dignité de l’être humain continueront à se dégrader, ainsi s’établira un asservissement sans précédent de l’homme à son outil.

A la menace d’une apocalypse technocratique, j’oppose la vision d’une société conviviale. La société conviviale reposera sur des contrats sociaux, qui garantissent à chacun l’accès le plus large et le plus libre aux outils de la communauté, à la seule condition de ne pas léser l’égale liberté d’accès d’autrui.”

p. 31 : “Une société qui définit le bien comme la satisfaction maximale du plus grand nombre de gens par la plus grande consommation de biens et de services industriels mutile de façon intolérable l’autonomie de la personne. Une solution politique de rechange à cet utilitarisme définirait le bien par la capacité de chacun de façonner l’image de son propre avenir.

(…)

Nous devons et, grâce au progrès scientifique, nous pouvons édifier une société post-industrielle en sorte que l’exercice de la créativité d’une personne n’impose jamais à autrui un travail, un savoir ou une consommation obligatoire.”

p. 34 “… à notre époque (…) il est devenu difficile d’imaginer une société simplement outillée, où l’homme pourrait parvenir à ses fins en utilisant une énergie placée sous contrôle personnel. Nos rêves sont standardisés, notre imagination industrialisée, notre fantaisie programmée. Nous ne sommes capables de concevoir que des systèmes hyper-outillés d’habitudes sociales, adaptés à la logique de la production de masse. Nous avons quasiment perdu le pouvoir de rêver un monde où la parole soit prise et partagée, où personne ne puisse limiter la créativité d’autrui, où chacun puisse changer la vie.”

(…)

“Une société équipée du roulement à bille et qui irait au rythme de l’homme serait incomparablement plus efficace que toutes les sociétés rugueuses du passé et incomparablement plus autonome que toutes les sociétés programmées du présent.”

p. 35 : “L’homme-machine ne connaît pas la joie placée à portée de main, dans une pauvreté absolue ; il ne sait pas la sobre ivresse de la vie. Une société où chacun saurait ce qui est assez serait peut-être une société pauvre, elle serait sûrement riche de surprises et libre. ”

p. 36, 37, 41

feu d’artifice végétal

p. 42 : “Il faut s’interroger soi-même : qui m’enchaîne ? Qui m’accoutume à ses drogues ? Poser la question, c’est déjà y répondre. (…) Le manque que la société industrielle entretient avec soin ne survit pas à la découverte que personnes et communautés peuvent elles-mêmes satisfaire leurs véritables besoins.”

p. 42,

p. 43 : “Une société conviviale est une société qui donne à l’homme la possibilité d’exercer l’action la plus autonome et la plus créative, à l’aide d’outils moins contrôlables par autrui. La productivité se conjugue en termes d’avoir, la convivialité en termes d’être. Tandis que la croissance de l’outillage au-delà des seuils critiques produit toujours plus d’uniformisation réglementée, de dépendance, d’exploitation, le respect des limites garantirait un libre épanouissement de l’autonomie et de la créativité humaines.”

P. 44 : “L’outil convivial est celui qui me laisse la plus grande latitude et le plus grand pouvoir de modifier le monde au gré de mon intention. L’outil industriel me dénie ce pouvoir ; bien plus, à travers lui, un autre que moi détermine ma demande, rétrécit ma marge de contrôle et régit mon sens. La plupart des outils qui m’environnent aujourd’hui ne sauraient être utilisés de façon conviviale.”

p. 45 : “L’outil maniable est conducteur d’énergie métabolique ; la main, le pied ont prise sur lui. L’énergie qu’il réclame est reproductible par quiconque mange et respire.”

48,

p. 49 : “Une société conviviale n’est même pas tenue de refuser la télévision, bien que celle-ci laisse à la discrétion de quelques producteurs et beaux parleurs le soin de choisir et de fabriquer ce qu’on fera « avaler » à la masse des téléspectateurs ; mais une telle société doit protéger la personne contre l’obligation de se transformer en voyeur.”

p. 62 : “IL faut choisir entre distribuer à des millions de personnes, au même moment, l’image colorée d’un pitre s’agitant sur le petit écran, ou donner à chaque groupe humain le pouvoir de produire et de distribuer ses propres programmes dans les centres vidéo.”

p. 49 : “…les sociétés marxistes où la classe des travailleurs se croit au pouvoir. Le planificateur socialiste rivalise avec le chantre de la libre entreprise, pour démonter que ses principes assurent à une société le maximum de productivité.”

p. 49-50 :“L’interprétation exclusivement industrielle du socialisme permet aux communistes et aux capitalistes de parler le même langage, de mesurer de semblable façon le degré de développement atteint par une société.”

63, 64,

p. 65 : “Le courage de se soigner seul n’appartient qu’à l’homme qui a le courage de faire face à la mort.”

67,

p. 70 : “Une politique conviviale s’attacherait d’abord à définir ce qu’il est impossible d’obtenir par soi-même quand on bâtit sa maison. En conséquence, elle assurerait à chacun l’accès à un minimum d’espace, d’eau, d’éléments préfabriqués, d’outils conviviaux allant de la perceuse au monte-charge, et, probablement aussi, l’accès à un minimum de crédit. Une telle inversion de la politique actuelle donnerait à une société post-industrielle des logements modernes aussi séduisants pour ses membres que l’étaient, pour les anciens Mayas, les maisons qui sont encore la règle au Yucatan.”

p. 71 : “Les gens sont mieux éduqués, mieux soignés, mieux transportés, mieux distraits et même souvent mieux nourris, à la seule condition que, pour unité de mesure de ce mieux, on accepte docilement les objectifs fixés par les experts.”

71, 73, 75, 76,

p. 77 : “La seule solution à la crise écologique est que les gens saisissent qu’ils seraient plus heureux s’ils pouvaient travailler ensemble et prendre soin l’un de l’autre.”

p. 78 :,“…je montrerai que (…) le surpeuplement est le résultat d’un déséquilibre de l’éducation, que la surabondance provient de la monopolisation industrielle des valeurs personnelles, que la perversion de l’outil est l’implacable effet d’une inversion des moyens en fins.”

79,

p. 81-82 : “Aussi longtemps que les gens acceptent la définition de la réalité que leur donne le maître, les autodidactes sont officiellement étiquetés comme « non éduqués ». (…) Il y a monopole radical lorsque l’individu programmé évince le pouvoir-faire de l’individu. Cette domination de l’outil instaure la consommation obligatoire et dès lors restreint l’autonomie de la personne. C’est là un type particulier de contrôle social, renforcé par la consommation obligatoire d’une production de masse que seules les grosses industries peuvent assurer.”

p. 83 : “Les hommes ont la capacité innée de soigner, de réconforter, de se déplacer, d’acquérir du savoir, de construire leurs maisons et d’enterrer leurs morts. (…) De telles activités ont une valeur d’usage, et n’ont pas été affectées de valeur d’échange. Leur exercice n’est pas considéré comme un travail.”

p. 84 : “Les gens ont besoin d’une défense contre le monopole radical. Ils ont besoin de se défendre contre la mort et la sépulture standardisées, que la consommation leur soit imposée par l’intérêt de la libre entreprise des médecins et les croque-morts, ou par le gouvernement pour le bien de l’hygiène. Cette défense, ils en ont besoin même si la plupart d’entre eux sont désormais tributaires des services spécialisés. Si le besoin d’une défense contre le monopole radical n’est pas reconnu, celui-ci renforcera et affinera son outillage, jusqu’à entraîner un dépassement du seuil humain de résistance à l’inaction et à la passivité.”

85,

p. 86 : “Quand on découvre le monopole radical, il est généralement trop tard.”

“…même dans les pays surdéveloppés, et quelque soit leur régime politique, le taux de croissance de la frustration excède largement celui de la production.”

87, 93, école 94-95,

p. 96 : “Instituteurs, travailleurs sociaux et policiers travaillent la main dans la main pour maintenir les individus sous-payés ou en chômage partiel dans des maisons qu’ils ne peuvent ni construire eux-mêmes ni modifier.”

97/HLM, semences à haut rendement et école,

p. 102 : “La condition du pauvre peut être améliorée si le riche consomme moins, tandis que celle du riche ne peut l’être qu’au prix de la spoliation mortelle du pauvre. Le riche prétend qu’en exploitant le pauvre il l’enrichit puisqu’en dernière instance il crée l’abondance pour tous. Les élites des pays pauvres répandent cette fable.”

103, 105, 106, 108, 109,

p. 112 : “Une société engagée dans la course au mieux-être ressent comme une menace l’idée même d’une quelconque limitation du progrès. Alors l’individu qui ne change pas d’objets connaît la rancœur de l’échec et celui qui en change découvre le vertige du manque. Ce qu’il a l’écœure, ce qu’il veut avoir le rend malade. Le changement accéléré produit sur lui-même les mêmes effets que l’accoutumance à une drogue : on essaie, on recommence, on est accroché, on est malade, on manque. La dialectique de l’histoire est brisée. Le rapport au présent et à la tradition s’évanouit.”

113,

p. 116-117 : “…on peut parler de l’homéostase de l’homme dans son milieu, que menace toute dysfonction de l’outil, et définir la politique comme le processus par lequel les homme assument la responsabilité de cette homéostase. Il est temps de cesser de définir les besoins humains en termes abstraits, avant de les soumettre, comme des problèmes, au traitement de la technocratie, qui pratique la méthode de l’escalade. Il est temps de commencer à chercher à l’intérieur de quelles bornes des collectivités d’hommes concrets peuvent se servir de la technique pour satisfaire leurs besoins sans porter préjudice à autrui. ”

117-118,

p. 119 : « La surabondance de biens mène à la rareté de temps. »

121

p. 124 : “L’outil peut croître de deux façons, soit il augmente le pouvoir de l’homme, soit il le remplace. Dans le premier cas, la personne conduit son existence propre, en prend le contrôle et la responsabilité. Dans le second cas, c’est finalement la machine qui l’emporte : elle réduit à la fois les choix de l’opérateur et de l’usager-consommateur, puis elle leur impose à tous deux sa logique et ses exigences. Menacée par l’omnipotence de l’outil, la survie de l’espèce dépend de l’établissement de procédures qui permettent à tout le monde de distinguer clairement entre ces deux façons de rationaliser et d’employer l’outil et, par là, incitent à choisir la survie dans la liberté. Dans l’accomplissement de cette tâche, trois obstacles nous barrent le chemin : l’idolâtrie de la science, la corruption du langage quotidien et la dévaluation des procédures formelles qui structurent la prise de décisions sociales.”

125 & s.

p. 130 : “Dans les nations industrielles, quand l’homme parle de ses œuvres, les mots qu’il emploie désignent les produits de l’industrie.”

130 & s.

p. 151 : “Prévisible et inattendue, la catastrophe ne sera une crisis, au sens propre du mot, que si, au moment où elle frappe, les prisonniers du progrès demandent à s’échapper du paradis industriel et qu’une porte s’ouvre dans l’enceinte de la prison dorée. Il faudra alors démontrer que l’évanouissement du mirage industriel donne l’occasion de choisir un mode de production convivial et efficace.”

p. 152 : “A l’heure du désastre, la catastrophe se transformera en crise si un groupe de gens lucides gardant leur sang-froid sais inspirer confiance à ses concitoyens. Leur crédibilité dépendra de leur habileté à démonter qu’il est non seulement nécessaire, mais possible d’instaurer une société conviviale, à condition d’utiliser consciemment une procédure réglée, qui reconnaisse au conflit d’intérêts sa légitimité, donne valeur au précédent, et attribue un caractère exécutoire à la décision d’hommes ordinaires, reconnus par la communauté comme la représentant. A l’heure du désastre, seul l’enracinement dans l’histoire peut donner la confiance nécessaire pour bouleverser le présent.”

Voir aussi : http://www.revolution-lente.com/ivan-illich.php

source : http://gorgerouge.over-blog.com/article-34779072.html

Par Gorge Rouge – Publié dans : fiches de lecture

Ce contenu a été publié dans Le monde culturel, Livres. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.