Pourquoi la croissance, même verte, est vouée à l’échec

logo-ppldPar SuperNo

Ce petit billet fait suite à d’instructifs commentaires sur le billet précédent, que ce soit sur ce blog, ou sur celui de Marianne2, qui a naturellement joué son rôle de caisse de résonance…

[…]

Je voulais donc simplement expliciter mes arguments selon lesquels ni Madame Lepage, ni personne au Modem, pas plus qu’à l’UMP ou au P”S”, ni même chez ceux des Verts qui croient au mythe de la Croissance Verte, n’a pris la véritable mesure de l’enjeu. Ils se gargarisent de leur croissance, méprisent la décroissance, et il n’auront que la récession.

Je vais donc une fois de plus revenir sur la question de “Croissance” (c’est un peu le leitmotiv de ce blog depuis le début), verte de préférence puisque c’est à la mode. Il y sera aussi question de libéralisme, puisqu’on m’a grossièrement accusé de ne pas savoir de quoi je parlais…

Je ne vais pas revenir sur toute la théorie, vous n’aurez qu’à chercher dans les anciens billets, en commençant peut-être par celui-ci. Il est assez agaçant de voir un sniper venir de nulle part dégommer un billet sans avoir pris la peine de lire ne serait-ce que quelques-uns parmi les centaines d’autres !

On peut néanmoins résumer par le rappel de ces points essentiels :
– Le monde actuel est, à quelques négligeables exceptions près, uniformément capitaliste, libéral et son modèle repose sur une croissance infinie.
– La croissance est une drogue dure : les victimes en ont un besoin permanent, et ne sont même plus en état d’analyser leur pathologie.
– Dès que cette croissance n’est plus là, le système se grippe, le chômage monte en flèche : c’est la récession.
– Comme Madoff nous l’a brillamment démontré, il n’y a pas de croissance infinie dans un monde fini : la fin de ce système est inévitable, et la crise de l’énergie en sera le déclencheur.
– La récession, c’est l’impossibilité d’avoir de la croissance dans un monde qui en a fait sa pierre angulaire, son alpha et son omega.
– Quand on sort de ce schéma de recherche de croissance, on ne parle plus de récession, mais de décroissance.
– Selon les décroissants, les vrais, cette décroissance est même philosophiquement souhaitable face à la folie du monde du “toujours plus”.
– Selon les drogués de la croissance, confortés par l’image que TF1 ou M6 en donnent, la décroissance est un drame, un retour à la diligence, à la lampe à huile, voire à la préhistoire (cf le tableau décrit plus haut). Les décroissants sont des arriérés pas forcément méchants, mais mentalement perturbés, qui vivent dans des yourtes avec des toilettes sèches (et se désaltèrent donc d’urine de mouton bio).

Jusqu’ici, les décroissants étaient effectivement fort peu nombreux. Outre les marginaux sus-évoqués, il y a aussi des écolos convaincus, voire des militants fort politisés (ceux qui gravitent autour du journal “La Décroissance” par exemple).

Néanmoins, les méfaits de la “croissance” (réchauffement climatique, gaspillage de l’énergie et des ressources naturelles, pollution, con-sommation échevelée, publicité, propagande, presse et politiciens vendus, dictature des multinationales…) commencent à devenir trop visibles pour que même un drogué les ignore…

Logiquement, l’idée de décroissance commence à faire son chemin. Tout doucement, comme l’escargot qui a servi d’emblème à “Europe Décroissance”, première formation politique qui revendique ce concept à oser se présenter à une élection, c’était aux dernières européennes.

La décroissance est en croissance, quel paradoxe !

Il est évident que la propagation des idées de la décroissance ne se fera pas sans mal. La société “croissante”, et même ses victimes, voient forcément d’un mauvais œil des hurluberlus qui contestent jusqu’aux bases de leur idéologie chérie ! Et pour un politicien, c’est un vrai cauchemar : là où un Sarkozy vous promet du “pouvoir d’achat” et du “travailler plus pour gagner plus” à tire-larigot (même s’il n’arrive plus à tenir ce genre de promesses), comment expliquer à cette population, complètement droguée rappelons-le, que l’on souhaite qu’elle consomme moins, qu’elle bouffe moins, qu’elle travaille moins, qu’elle se passe de sa bagnole, qu’elle voyage moins… Tout le contraire de ce que la télé lui serine en coulée continue depuis sa naissance : invendable, ce truc !

Invendable oui, mais hélas obligatoire.

Certains partis, plus courageux et/ou visionnaires que d’autres commencent néanmoins à tenter d’intégrer des “morceaux de décroissance” dans leur programme.
Sauf qu’ils ont du mal à assumer ! Ou alors c’est une stratégie mûrement réfléchie. Pour ne pas effrayer, on n’emploie pas le mot. On tourne autour du pot.

Le premier stade, c’est la “croissance verte”. Le fourre-tout vidé de son sens (si tant est qu’il ait pu avoir un sens). Même Sarkozy l’a adopté, c’est dire ! Le principe est simple : on amuse la galerie avec le mot “verte”, mais quand on est drogué par la croissance, peu importe qu’elle soit noire, bleue ou verte, l’important est qu’il reste la croissance ! Alors si c’est la condition pour que ça continue, va pour la croissance verte !

Le deuxième stade, que l’on rencontre plutôt chez les Verts, au Parti de Gauche où chez des gens qui ont déjà compris l’importance de l’enjeu, c’est :
“Bah, le monde va évoluer, certains secteurs seront en croissance, d’autres en décroissance, voilà tout…”
J’ai le regret de dire à ceux-là (parmi lesquels il me semble même avoir entendu Hervé Kempf et Corinne Morel Darleux, que je place pourtant tout en haut de mon échelle des valeurs dans le domaine de la politique ! ) qu’ils n’ont pas tort, mais que ce phénomène revient au final à de la décroissance mal cachée par une feuille de vigne!

Je résume : des secteurs décroîtront :
– Le pétrole
– L’automobile individuelle
– Le tourisme
– L’aviation
– La sidérurgie
– La finance
– La publicité

Logique, toutes ces industries vivent du pétrole, et sont parmi les plus polluantes. Moins de capitaux, c’est la finance qui périclitera. Sans oublier la pub, qui trinque toujours en premier.

Par contre, ces secteurs croîtront :
– Les transports en commun
– Le vélo
– Le bâtiment
– Les énergies renouvelables
– Les préservatifs (faire l’amour est une activité (le plus souvent) gratuite, écologique, et bonne pour la santé : l’activité décroissante typique !)

Le problème, c’est que si l’on fait la somme des revenus engendrés par les secteurs du second groupe et que l’on soustrait les revenus engendrés par le premier groupe, je crains que l’on ne trouve un nombre négatif assez abyssal !

Ce n’est pas l’avis de Cécile Duflot (qui pour moi fait pourtant partie des gens “estimables” chez les Verts, au contraire de Daniel Cohn-Bendit avec lequel elle est d’ailleurs en froid depuis l’abordage à la hussarde du Modem), tel que le rapporte le Canard Enchaîné de la semaine. Elle prétend que le remplacement de la bagnole par des transports en commun détruira 5 millions d’emplois, mais en recréera 8.5 millions !

A Cécile Duflot et aux autres, j’exprime mon doute (euphémisme). Sachez que parmi les 10 plus grandes compagnies mondiales, on trouve 8 sociétés pétrolières ou automobiles, pour une financière (ING) et une chaîne d’hypermarchés (Wal-Mart) ! Tout à fait le reflet du monde actuel, qui appartiendra bientôt au passé !

C’est cela que j’ai le plus de mal à faire admettre. La croissance ne repose que sur une énergie qui va disparaître sans aucun remplaçant à court terme. C’est pourtant simple : regardez encore cette liste de sociétés, pensez à ce qui va arriver au pétrole d’ici quelques années, et tirez-en les conclusions qui s’imposent : un cataclysme, un château de cartes qui va s’effrondrer.

Le noeud du problème est là, et c’est une des raisons qui me font dire que ceux qui continuent à prétendre que l’on peut continuer à “relancer de la croissance” (pour reprendre leur mantra) sans énergie, en respectant l’environnement et sans transformer fondamentalement la société sont au mieux des comiques ou des doux rêveurs, au pire, et plus probablement, des fous dangereux !

Vouloir continuer à “faire de la croissance” dans un monde qui n’en peut plus, ça ne peut que mener à l’échec, à la récession, avec son cortège de misère et de catastrophes.

Planifier, anticiper la décroissance inévitable pour la rendre “soutenable”, c’est-à-dire qu’elle se passe le moins mal possible pour tout le monde, c’est la seule solution acceptable.

Seulement voilà, ça ne se passe pas comme ça ! Et c’est là que j’en remets une couche sur le Modem : il ne suffit pas de faire des odes lyriques à la liberté, souhaiter la “responsabilité” ou la “régulation”, et prendre quelques mesurettes ça et là : l’effort à faire est con-si-dé-ra-ble-ment, in-fi-ni-ment plus important. C’est toute l’écononomie, tout le monde du travail, la vie quotidienne de tout le monde, qui vont être chamboulés ! Peu y sont prêts. Moi pas plus que les autres.

Le Modem est un parti de droite, qui a déjà participé au gouvernement (sous le nom d’UDF, certes), et n’y a montré aucune opposition idéologique flagrante avec la clique RPR/UMP. Même enhardi par l’ambition de Bayrou, il ne va évidemment pas prôner la révolution bolivarienne ou même simplement exprimer son accord avec une des propositions suivantes :

– Supprimer les politiciens professionnels (enfin, leurs postes !), largement corrompus par les multinationales, et rendre la politique aux citoyens.
– Nationaliser tous les secteurs critiques, qui ont été (ou sont en voie d’être) bradés aux spéculateurs : énergie, services publics, transports, télécoms, finance, éducation, santé, retraites…
– Travailler moins, ne plus dépendre de son travail, supprimer le travail inutile ou nuisible, partager le travail restant.
– Rendre non rentables économiquement les activités polluantes ou nuisibles pour la planète et ses habitants.
– Développer les énergies renouvelables et la production individuelle d’énergie (ça encore, je suppose que le Modem y est prêt).
– Réduire drastiquement les inégalités en instaurant un revenu maximum au delà duquel l’excédent est intégralement reversé à la communauté.
– Revenir aux fondamentaux : l’argent est simplement un moyen commode d’échanger biens et services. Aucune entité privée n’a le pouvoir d’en créer.
– Supprimer toute forme de publicité commerciale. C’est le seul moyen de sevrer le drogué de sa came.
– Supprimer les hypermarchés et revenir à des surfaces plus petites, plus proches, et accessibles sans bagnoles.
– Désintoxiquer des notions de croissance, de performance, de vitesse, de rendement…
– Faire sienne la devise des décroissants : moins de biens, plus de liens !
L’ensemble de ces mesures et la baisse d’activité (comprendre “d’activité inutile et/ou nuisible”) qui en découlerait devrait en outre permettre de continuer à vivre correctement en se passant de nucléaire.

Ben oui, on est à des années-lumière du programme du Modem, qui sur la base du système libéral actuel, n’est fait que de grands principes creux (vaines invocations de la “Liberté”, de la “Démocratie”, de la “République”… etc), de mesurettes et de “régulation” ! En fait les seuls qui s’en approchent, outre les groupuscules ouvertement décroissants, sont les gens d’Utopia, qui tentent depuis quelques années d’essaimer dans les partis de Gauche (principalement le PG, mais aussi le P”S” ou les Verts…). Avec un premier succès mesurable, puisque Jean-Luc Mélenchon, ex-dirigeant productiviste de l’aile gauche du P”S”, clame désormais à qui veut l’entendre qu’il a pris conscience que son passé de promoteur “béton-électricité” était une erreur !

Bref, voilà, en quelques lignes, j’ai changé le monde ! Bon, je conçois aisément que ce soit probablement un peu plus difficile à faire adopter, puis à réaliser, qu’à écrire. D’autant que pour être efficace, ces mesures doivent évidemment être étendues au monde entier, ce qui n’est pas forcément le plus simple…

Certes, mais cela ne doit surtout pas nous empêcher de continuer à les promouvoir !

Source entière : « Pourquoi la croissance, même verte, est vouée à l’échec. N’en déplaise à mes amis du Modem !« 

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