L’Escargot de Guillevic

L’Escargot

Ceux qui disent
Que l’escargot n’avance pas vite,

C’est qu’ils n’ont jamais été
Escargot.

Pourquoi me reprocher
De ne pas monter au clocher ?

Au milieu des herbes
Je vois la terre d’assez haut.

Je ne sais plus bien
Comment j’ai fait ma maison,

Il me semble
Qu’elle m’a été donnée.

Ne vous inquiétez pas pour moi.

J’arriverai
Jusqu’à ma mort.

Quelque chose m’a fait
M’adonner à la spirale –
Dans quel but ?

Je pourrais m’acagnarder
Sur le pylône.

Mais la ferraille
Très peu pour moi.

Je colle à la terre
Mais il me va

De m’en détacher
Pour me hisser dans un lierre.

Cornes contre cornes,
A deux,

Nous nous disons
Tout l’espace.

Il y en a qui passent
Tellement vite

Qu’ils ne doivent jamais
Voir les autres.

Ceux-là qui laissent leur maison
Et s’en vont

Comme s’ils en voulaient une autre –
Et qui pourtant reviennent.

Un garçon m’a crié :
Vole.

Je n’ai pas compris.

Je sens comme des ondes
Qui coulent à travers moi
Et qui me font avancer
Lorsque j’en ai envie.

A nous deux,
Le silence et moi,
Nous faisons de belles prairies.

Entre un endroit
et un autre endroit,

Il n’y a selon moi
Rien de plus que l’espace d’une vie.

J’aime dormir
Sous la panse d’un chou,
Sous l’aile d’une laitue.

Je me suis regardé
Dans une petite flaque d’eau.

Je me suis vu grand bigorneau.

Un jour
Je vais quand même

Me mettre à grimper
Jusqu’au sommet
Du vieux peuplier.

Pourquoi pas ?

Je glisse aussi vite
Que le ver de terre

Qui n’a pourtant pas
A porter sa maison.

La libellule
A la légèreté de l’air.

Moi,
J’ai le poids de la glaise.

Moi, bave d’escargot,
Je n’ai jamais
Dit mon dernier mot.

Je peux aller moins vite
Au point qu’on peut croire
Que rien ne bouge.

Ne me comparez pas
A l’aigle, au serpent.

Je vis ma destinée d’escargot,
Mes rêves, mes colères d’escargot.

Je suis beaucoup plus
Que ce que vous croyez.

Moi, l’escargot,
J’aurais pu
Ne pas exister.

Le monde aussi.

La molle épaisseur des choses,
Voilà ce qui m’attire.

Pour monter
Je n’ai pas besoin d’échelle,

Mais sur les barreaux
Je me repose.

J’entends dire parfois :

– Comment t’éclaires-tu
Quand tu rentres
Dans ta maison ?

Guillevic

Texte d’une édition originale imprimée à Ravenne en Italie, en 1989 (tirage limité à 70 exemplaires) in « L’expérience Guillevic », Deyrolle Editeur / Opales 1994, pp 243-250

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