Pétrole : la baisse de la consommation pourrait durer

Le monde est-il entré dans la décroissance de la consommation d’énergie ? Cette hypothèse, qui aurait fait hurler les économistes il y a encore quelques mois, est très sérieusement envisagée par les analystes du marché pétrolier. Dans son rapport sur l’évolution du marché pétrolier, publié le 16 janvier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) observe que la demande mondiale de pétrole a baissé de 0,3 % en 2008, pour atteindre 85,8 millions de barils par jour (Mbj), et devrait baisser encore en 2009. C’est la première contraction depuis 1982-1983.

« On est dans un pic de la demande, dit Pierre Terzian, du cabinet Pétrostratégies. La demande va continuer à décroître, à cause du ralentissement économique. » Jean-Marie Chevalier (université Paris-Dauphine) confirme : « Ce pic a trois raisons : le prix a atteint un niveau si élevé que les gens, notamment aux Etats-Unis, ont commencé à changer leurs habitudes de consommation ; ensuite, l’éthanol prend une place qui n’est pas tout à fait marginale ; enfin, bien sûr, la crise économique pèse sur la demande. »

Mais cette situation est-elle durable ? Plusieurs professionnels estiment que les choses repartiront comme avant au terme de la crise. « Cette crise économique finira, dit Patrick Haas, PDG de BP France, et l’on retrouvera un appétit dévorant pour le pétrole. » « En sortie de crise, la demande des pays émergents sera toujours là », estime lui aussi Olivier Appert, président de l’Institut français du pétrole.

Sauf que personne n’ose prédire quand s’arrêtera la crise. Et que des changements structurels dans les comportements sont peut-être à l’oeuvre : « la croissance de la Chine est touchée, dit Jean-Marie Chevalier, et le gouvernement a pris des mesures de taxation qui ont bridé la demande. Sur le fond, il y a des limites physiques : si les Chinois avaient le même taux d’équipement automobile qu’en Europe, leur consommation serait de 17 millions de barils par jour (Mbj), soit autant que toute la production du Moyen-Orient. Ce n’est pas possible. » Les Etats-Unis, aussi, pourraient se stabiliser : « Ce pays a une marge d’efficacité énergétique très considérable, note Eduardo Lopez, de l’AIE. Avec la crise qui va durer et ces gains d’efficacité, il est probable que la demande ne va pas augmenter pendant longtemps. » C’est aussi l’analyse de Patrick Haas : « Le changement de comportement de l’été 2008 est en partie structurel. La théorie que la croissance de la demande est constante est probablement fausse. On est dans un monde qui devrait voir s’équilibrer sa demande s’il y a une vraie politique climatique. »

L’hypothèse d’une demande durablement en baisse est donc crédible. Elle est saluée par les partisans de la théorie du pic pétrolier, selon lesquelles la production mondiale de l’or noir ne peut plus augmenter. « Le pic pétrolier a été atteint en juillet 2008, quand le prix du baril a atteint 146 dollars », affirme Yves Cochet, député Vert et président du Groupe parlementaire d’étude des pics pétroliers et gaziers, qui compte 48 députés. « A cause de la crise économique, il y a eu baisse de la demande, donc du prix, donc de l’investissement. S’il y a reprise, il y a tellement de retard sur l’investissement qu’on n’atteindra jamais à nouveau 87 Mbj. » Mieux vaudrait donc s’adapter, et accompagner volontairement la demande.

« ASSURER DES RECETTES STABLES »

Mais les milieux pétroliers contestent que le pic pétrolier ait été atteint. « Il y a eu récemment des découvertes importantes, notamment au Brésil », rappelle Pierre Terzian. « Le progrès des taux de récupération permet la réévaluation des réserves existantes », dit Olivier Appert. Chez Total, Jean-Jacques Mosconi, directeur de la stratégie, estime ainsi que « nous avons devant nous pour 30 ans de pétrole conventionnel, 20 ans d’huiles lourdes, 15 à 20 ans supplémentaires par l’amélioration du taux de récupération. Le monde pourra produire 95 Mbj en 2020. Mais ce chiffre sera limité par le facteur géopolitique, c’est-à-dire la volonté des pays producteurs de s’assurer des recettes stables. » Jean-Luc Wingert, consultant, relativise : « La découverte du Brésil est compensée par le déclin très rapide du champ géant de Cantarell au Mexique. La vision sur le progrès technique est trop optimiste. »

Mais un élément nouveau oriente le débat : le changement climatique. « Il n’y a pas de signe que les politiques sont prêts à l’oublier », dit M. Appert. Le discours de M. Obama l’a confirmé. Et le 8 janvier, à Washington, pour la première fois, le patron d’Exxon Mobil, Rex Tillerson, a envisagé l’hypothèse d’une taxe sur le carbone pour lutter contre le changement climatique. Si une vraie politique sur le climat s’engageait, la consommation du pétrole resterait donc à la baisse.

Hervé Kempf

Article paru dans l’édition du 22.01.09
LE MONDE | 21.01.09 | 15h08  •  Mis à jour le 22.01.09 | 09h05

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