Les idées de la décroissance infusent la société en silence

Les idées de la décroissance cheminent, explique l’auteur de cette tribune, qu’il s’agisse de la mise en question des façons de consommer, de celles de voyager, ou de la manière de vivre son temps libre. Néanmoins, la « masse critique » ne sera pas atteinte sans intervention sur le terrain politique.

Au printemps dernier le journal Politis publiait un dossier sur la décroissance intitulé « Une révolution silencieuse ? ». En effet, la décroissance semble moins visible dans les débats politiques qu’il y a quelques années. Pourtant elle semble gagner du terrain dans les têtes et dans les débats. Assisterait-on à une transformation silencieuse de la société ? Est-ce suffisant ?

Plusieurs indicateurs semblent montrer que les idées de la décroissance et autres réflexions connexes avancent. On assiste ces dernières années à une certaine prise de conscience des enjeux environnementaux et énergétiques. Les inégalités ne cessent d’augmenter, renforcées par des politiques d’austérité toujours plus violentes. Les classes dirigeantes sont toujours plus discréditées, ce qui ouvre malheureusement aussi des espaces aux mouvements réactionnaires et démagogiques. En parallèle, de plus en plus de citoyens questionnent leurs consommations : réutilisation, partage, réparation, refus du jetable ou encore de nouvelles manières de voyager (local et en vélo) ou de vivre son temps libre. De même, on ne compte plus les articles et études surle mal-être au travail : travailleurs pauvres, burn-out, bore-out ou encore brown-out et autres« bullshit jobs »… Ainsi, par exemple, presque la moitié des Français estiment passer « passer à côté de leur vie ».

L’émergence d’alternatives concrètes locales partout à travers le monde

Enfin, et plus intéressant, plusieurs études montrent que ces prises de conscience et ce mal-être face à l’absurdité de notre système dominé par le toujours plus et le profit, ouvrent de nouvelles voies. Ainsi 34 % des 15-30 ans mettent en avant « un changement de notre mode de vie et la décroissance » pour répondre aux enjeux climatiques. Une autre étude effectuée en France, Allemagne Italie et Espagne, place la décroissance en tête des scénarios les plus souhaitables.

Il ne s’agit que d’ordre de grandeur. Ils confirment toutefois la tendance que l’on peut observer avec l’émergence d’alternatives concrètes locales partout à travers le monde. De même, l’engouement autour d’un film comme Demain montre un intérêt grandissant pour des pas de côté salvateurs et pour des solutions locales, démocratiques, non violentes ou encore conviviales.

Ainsi, la décroissance, tout en étant moins spectaculaire, est devenue légitime et s’invite dorénavant un peu partout dans les débats, mais aussi dans les actions.

Même si pour l’instant aucun candidat ne se revendique directement de la décroissance, ses idées semblent pourtant s’installer. La critique de la croissance, ou l’« a-croissance », est directement revendiquée par au moins deux candidats : Benoît Hamon, qui dit « avoir rompu avec le productivisme et ne plus croire en la croissance économique » et Jean-Luc Mélenchon, pour qui« la décroissance n’est pas une option, c’est une nécessicité ». On peut aussi citer la candidate issue de la primaire citoyenne, Charlotte Marchandise, dont la proposition de revenu de base partiellement démonétarisé s’inspire de l’idée de dotation inconditionnelle d’autonomie que nous développons dans un Projet de décroissance. Enfin, dans une moindre mesure et avec une approche plus technocratique, force est de souligner les convergences avec le candidat écoloYannick Jadot.

Le revenu de base s’est imposé dans les débats de la présidentielle, pour le meilleur comme pour le pire, car chacun-e y projette ses craintes et ses aspirations. Enfin, nous ne pouvons que regretter l’absence de la question de la réappropriation du sens des limites et du revenu maximum acceptable.

Derrière ces débats encourageants, il reste du chemin à parcourir quand on observe les relents de productivisme, de « croissancisme », de technoscientisme béats. Par ailleurs, on constate aussi un durcissement du rejet de ces idées !

Plein de bonnes raisons de ne pas totalement désespérer

Ainsi, à la suite de l’élection de Trump, une de ses supporters twittait :

@realDonaldTrump must make the case to the American people & shut down the “degrowth” movement once & for all ! » [1]

(« Donald Trump doit en finir avec le mouvement de la décroissance une fois pour toutes ! »)

On retrouve ce genre d’attaque dans le livre du candidat de Les Républicains [François Fillon], véritable ode au technoscientisme :

Nous avons inventé une nouvelle religion, celle de la décroissance, qui consiste à brider les capacités les plus hautes de l’esprit humain. »

Sans minimiser ces attaques et la puissance de destruction qu’elles représentent, il y a plein de bonnes raisons de ne pas désespérer, d’autant plus que les débats sont fertiles, comme aux États-Unis avec la campagne de Bernie Sanders, ou encore avec l’expérience des listes citoyennes victorieuses en Espagne. Ainsi, on observe un nouveau clivage entre pas de côté et croyance aveugle au progrès, entre ralentir et plus vite droit dans le mur.

Malheureusement, la masse critique susceptible de renverser le système n’est pas encore atteinte. C’est pourquoi il est important d’occuper le terrain des élections pour pousser les débats encore plus loin. Les listes citoyennes espagnoles nous enseignent l’importance de se réinsérer dans les territoires pour aller à la rencontre et écouter. Face aux périls portés aussi bien la montée de forces réactionnaires et haineuses ou encore au cynisme d’une élite politique corrompue et croissanciste, plus que jamais nous avons besoin de radicalité décomplexée, c’est-à-dire de prendre le problème à la racine, mais aussi de dialogue ouvert et sans naïveté.


 

Vincent Liegey, sur Reporterre le 20 janvier 2017.

 

[1Que l’on pourrait traduire ainsi : « Donald Trump doit, pour le peuple américain, en finir avec le mouvement de la décroissance une bonne fois pour toutes ! »

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