Et maintenant, les travaux pratiques

Circuits courts, gratuité, monnaies locales, villes lentes… Après avoir bousculé le dogme de la croissance économique, les idées de la décroissance fertilisent peu à peu de nombreuses alternatives concrètes.

Extraits d’un article publié dans le dossier « décroissance une révolution silencieuse » dans Politis (voir fin de l’article).

Fin 2009, une apothéose médiatique pour la décroissance en France : le président de la République en personne estime politiquement utile de livrer son opinion sur la question, et à plusieurs reprises. « Je refuse le choix entre croissance et pollution ou décroissance et protection de l’environnement. J’affirme le choix du développement durable », scande Nicolas Sarkozy [1].

La crise est planétaire, des pays sont entrés en récession et l’urgence climatique a occupé le terrain politique comme jamais à l’occasion du sommet de Copenhague. Depuis, l’économie a pourtant repris sa course, certes en boitant, mais « business as usual ». Et la décroissance a peu à peu disparu des discours et des médias, comme si les contradictions qu’elle révèle étaient désormais périmées. « Une fabuleuse dénégation », ironise l’économiste objecteur de croissance Serge Latouche.

Le monde économique n’en est pas pour autant sorti indemne, constate Vincent Liegey, chercheur interdisciplinaire sur la décroissance, qui relate la déstabilisation de ce dirigeant d’une multinationale française avouant être « à 100 % en accord » avec lui « en tant que père de famille », mais professionnellement embrigadé pour arracher le dernier dollar au marché. (…) Une victoire idéologique, estime le philosophe Fabrice Flipo : « Une bonne partie des progressistes ne parviennent plus à parler de croissance sans en être gênés. »

La décroissance a fonctionné dans un -premier temps comme un « mot-obus », analyse Paul Ariès, percutant les esprits en remettant en cause la quête de la croissance à tout prix, axiome majeur de l’économie libérale. Pour le politologue, le reflux de cette confrontation dans le débat public traduit une mutation, pas une disparition. « La décroissance est entrée dans une phase plus pratique. Elle s’exprime désormais à travers des “mots-chantiers” qui expérimentent ses idées en actes. »

Économie coopérative, circuits courts, alimentation bio et de saison, gratuité des transports, monnaies locales, sobriété, réhabilitation de la lenteur contre l’accélération et le gigantisme (slow food, villes lentes), échanges non -marchands, dotation inconditionnelle d’autonomie, revenu maximum autorisé… Ces alternatives sont fréquemment portées par des collectifs locaux (et même des entreprises), des luttes (contre les « grands projets inutiles et imposés », pour les « zones à défendre »), des villes « en transition », voire des mouvements (comme les Colibris) qui ne se réclament pas nécessairement de la décroissance.

Fréquemment sollicité pour des interventions en Europe, Vincent Liegey a le sentiment de circuler entre deux mondes parallèles, « celui de l’économie dominante, de la politique et des médias, incapable de penser autrement que dans son propre système, et celui qui s’active à bâtir un autre monde sur les ruines du précédent. Certes minoritaire, disséminé en micro-initiatives, mais une transition en marche par des alternatives concrètes. » (…)

Depuis 2010, la journaliste Agnès Sinaï livre à Sciences Po (Paris) un cours sur les politiques de décroissance qui rencontre du succès. Fabrice Flipo fait partie du jury de thèse d’un mathématicien de l’École des mines de Paris qui simule l’impact de divers scénarios de décroissance à l’horizon 2050 – emploi, dette, environnement. Il vient d’intervenir auprès de l’École normale supérieure de Paris et d’un centre de recherche de juristes bruxellois désireux d’éclairages sur la place de la décroissance dans le droit. « Il est beaucoup plus facile d’en parler aujourd’hui, nous ne sommes plus des pestiférés, on vient nous chercher. » Même les syndicats s’y mettent, remarque Paul Ariès : « La CGT s’intéresse à la semaine de 32 heures ou à l’obsolescence programmée. »

(…) … Le terme «?décroissance?» a fait son entrée dans plusieurs dictionnaires d’économie ou de sciences sociales, « il s’est imposé dans les milieux universitaires », relate Serge Latouche. Qui déplore en revanche sa très faible influence politique en France. « La décroissance n’y a pas de vrai relais, contrairement à l’Italie, où le mouvement Cinq Étoiles l’a partiellement intégrée à son programme, ou bien à l’Espagne, où Podemos s’en revendique », constate l’économiste.

À partir de 2006, ont surgi le Mouvement des objecteurs de croissance (MOC), le Parti pour la décroissance (PPLD) ou Écologie, pacifisme et objection de croissance (Époc). (…)

Confidentiels, ces mouvements n’ont pas tranché leur grand dilemme : faire advenir le changement par la politique ou travailler la société de l’intérieur ? « Nous nous heurtons, sans solutions actuellement, à des questions de pouvoir, de relations avec les médias et d’ego, que nous savons mal gérer en dehors de nos réseaux », admet Vincent Liegey, ancien porte-parole d’un PPLD aujourd’hui en retrait. (…)

Patrick Piro – Politis, (extrait) Titre original «  Et maintenant, les travaux pratiques ! » –

Sources :
Le dossiers : http://www.politis.fr/dossiers/la-gauche-en-mille-morceaux-290/
L’article entier en PDF : clic

[1] Le 14 janvier 2010, vœux à la France rurale.

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